Quand le jardinage était ouvrier

A quelques jours du second tour, journalistes professionnels et amateurs redoublent d’efforts pour analyser le vote ouvrier. Quels thèmes feront pencher la balance, pouvoir d’achat, sécurité alimentaire, écologie ? Paradoxalement, le jardinage catalyse ces grandes questions. Dr. Jonquille vous propose un retour sur l’épopée du jardinage ouvrier. Décryptage. 

Jardiner pour se détendre

1864, région de Leipzig. Ernst Innozenz Hauschild créer le premier Schrebergarten dans des quartiers populaires, en hommage à son beau-père, le médecin Moritz Schreber qui promouvait la pratique du jardinage auprès des enfants défavorisés pour les pousser à faire de l’exercice physique et se détendre au contact d’un environnement apaisant. Les jardins ouvriers vont alors se développer dans toute la région industrielle de la Rhur puis dans toute l’Allemagne jusqu’à devenir une véritable institution : les Kleingarten s’étendraient aujourd’hui sur plus de 3% de la superficie de Berlin. 

Schrebergarten Berlin

Jardiner pour se nourrir 

1889, Sedan. La révolution industrielle a bouleversé les modes de vie et l’économie locale. Les paysans ardennais sont venus grossir les villes déjà surpeuplées pour rejoindre les manufactures. Les conditions de vie sont difficiles, les ressources limitées.

Félicie Hervieux, une activiste catholique, va avoir l’audace de rejeter le principe de charité pour venir en aide aux moins bien lotis d’une manière différente. En se basant sur le travail de Schreber, elle va promouvoir les jardins ouvriers en mettant en avant l’argument économique : l’exploitation d’un lopin de terre permettrait de mieux se nourrir, et même d’obtenir un revenu complémentaire en revendant les surplus. « Une forme nouvelle d’assistance par le travail » publiera le journal le Temps. Les grands patrons paternalistes portent une attention particulière à l’initiative. A l’image des clubs sportifs, les loisirs ouvriers sponsorisés par l’entreprise permettent de renvoyer une bonne image de l’entreprise, de fidéliser les ouvriers, de les encadrer, et même de les éloigner de l’alcoolisme, du socialisme et des syndicats ! Le jardinage ouvrier sera alors largement développé par les entreprises avant que les syndicats puis les collectivités se joignent à l’initiative. La période 1900 – 1950 sera l’âge d’or du jardin ouvrier, on recensera à la fin de la Seconde Guerre mondiale plus de 250 000 jardins ouvriers en France !

Jardiner pour s’émanciper 

1952, Paris. Pour ouvrir la pratique à de nouvelles classes sociales dans une société en plein exode rural et en voie de tertiarisation, les jardins ouvriers sont rebaptisés jardins familiaux. Un cadre légal est défini par le Code Rural. La loi va intégrer une dimension de « jardins d’insertion », pour favoriser l’autonomie de personnes en difficulté. Les années 1950 vont pourtant marquer le déclin des jardins ouvriers, liés notamment à l’artificialisation des espaces urbains et périurbains consécutifs de la pression foncière.

Jardinage ouvrier

Jardiner pour s’évader 

2019. Les ouvriers ne représentent plus que 20 % des actifs contre 30 % en 1982 selon l’Insee. La demande pour les jardins familiaux est néanmoins en pleine croissance, mais pour des raisons différentes : l’autoconsommation (la consommation de produits par le producteur) ne représente que 5 % du budget d’alimentation des ménages français (en estimant la valeur de ces produits au prix de vente en magasin). Les jardins familiaux et partagés sont plébiscités pour créer du lien social et pour profiter d’une oasis de verdure en ville. L’écologie est un réel argument, pour 76 % des Français un jardin permet de contribuer à la protection de la planète à leur propre échelle. Les pratiques évoluent, les intrants chimiques sont souvent bannis, on ne recherche pas forcément la productivité.

Jardiner pour sensibiliser ?

En 130 ans d’existence, les jardins collectifs ont beaucoup évolué, à l’image de notre société. Souvent instrumentalisés pour incarner des ambitions politiques, ils n’en restent pas moins un espace de détente dans les villes, un moyen de sociabiliser et de mieux se nourrir. Les jardins collectifs sont par ailleurs un espace privilégié pour interagir avec la nature. Ils permettent de sensibiliser par des expériences concrètes aux problématiques de protection de la biodiversité et même d’agir, en offrant « le gîte et le couvert aux insectes, oiseaux, lézards et petits mammifères ». La lutte des classes à puisée ses racines dans des problématiques de production, la transition écologique saura peut-être puiser quelques ressources au jardin !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *