Elle a longtemps pâti d’une image diabolique. Discrète, mystérieuse, se mouvant dans la pénombre, on aperçoit tantôt son ombre furtive, tantôt un éclair noir traversant le jardin à toute vitesse. Les chauves-souris intriguent encore aujourd’hui et suscitent de nombreux fantasmes. Tordons tout de suite le cou à l’un d’entre eux, l’un des plus coriaces : non, les chauves-souris ne s’emmêlent pas dans vos cheveux avant de vous sucer le sang à la manière de Dracula ! Seules de rares espèces sud-américaines peuvent s’en prendre à des animaux d’élevages, ne leur prélevant que quelques millilitres de sang. En Europe, toutes sont insectivores et guère plus grosses qu’un bouchon de liège. Ce que l’on sait moins, c’est qu’à l’instar des oiseaux, des bourdons ou des papillons, ces mammifères volants sont de véritables alliés des jardiniers. Lorsque nous dormons, ils contribuent à l’équilibre de l’écosystème. Batman, protecteur des cultures : qui l’eût cru ! Dans notre série sur les auxiliaires du jardin, découvrons aujourd’hui les chauves-souris !
Elles pourchassent les ravageurs et fournissent de l’engrais gratis
En France, il existe environ 35 espèces de chauves-souris. Quelques-unes comme la Pipistrelle commune ou la Sérotine commune sont extrêmement fréquentes et présentes à peu près partout – en campagne comme en ville. Lorsqu’elles ne gîtent pas dans la forêt ou dans des grottes, elles prennent possession des garages, greniers, combles, autant d’emplacements idéaux pour se reproduire au printemps, se reposer le jour (la tête en bas) et hiberner en hiver. La nuit tombée, ces noctambules s’élancent dans les jardins. Leur activité consiste à pourchasser jusqu’au petit matin toutes sortes d’insectes : moustiques, mouches, papillons, araignées etc. Et lorsqu’elles mangent, elles ne font pas semblant. Rapidité, agilité, voracité : ces prédatrices hors-pair sont capables de faire passer des centaines d’insectes sous leurs petites dents acérées toutes les heures.
Les chauves-souris nous débarrassent ainsi d’une grande partie des moustiques, ce qui, avouons-le, ne dérangera personne. Surtout, au milieu de toutes ces proies se trouvent quantité de ravageurs de cultures ! Les agriculteurs le savent très bien, depuis longtemps. Une étude américaine (1) a montré que lorsque sévissait le Ver de l’épi du maïs dans les cultures, les chauves-souris pouvaient multiplier les rendements de maïs par deux. Plus près de chez nous dans les rizières de Catalogne, les infections de riz par des larves de Pyrale du riz ont chuté d’un facteur cinq en présence de gîtes artificiels à disposition de Pipistrelles sopranes (2). En Europe, et en particulier chez nous en France, ces prédatrices nocturnes nous débarrassent de nombreux petits papillons ravageurs comme la Pyrale du Maïs, l’Eudémis de la vigne ou la chenille du Carpocapse de la pomme.
Bénéfices qui, même à l’échelle de notre petit potager, peuvent se ressentir. La noctuelle et sa larve, souvent très problématiques pour nos poireaux, pommes de terre, carottes, etc, font partie des mets favoris des chauves-souris. Alors certes, au fil de l’évolution, quelques insectes ont mis en place des stratégies pour éviter ces prédateurs insatiables. Certains papillons de nuits simulent la mort en se laissant tomber par terre, voire émettent à leur tour des ultrasons pour brouiller l’orientation de la chauves-souris. Malgré tout, à la fin de la nuit, c’est une repas gargantuesque qui s’achève : une chauve-souris aura ingéré en moyenne plus d’un tiers de son poids en insectes ! Imaginez lorsqu’une colonie de plusieurs dizaines d’individus partent à l’assaut du jardin… Un insecticide propre, discret et efficace.
Si elles ne créent pas de dommages particuliers à nos intérieurs, sachez qu’elles ont tout de même tendance à laisser derrière elles quelques traces d’excréments. Une aubaine pour nous autres jardiniers ! Le guano s’avère être un excellent fertilisant, peut être le meilleur des engrais selon son rapport NPK (Azote, phosphore et Potassium). On en retrouve d’ailleurs de plus en plus dans le commerce. Donc ne jetez rien, récupérez-le en déposant des bâches dans vos greniers ou vos abris. Vous pourrez ensuite alimenter vos cultures, naturellement, gratis.
Accueillons les chauves-souris chez nous !
Comme le reste de la biodiversité, les chauves-souris battent de l’aile. Selon les dernières tendances fournies par Vigie-Nature, concernant les six espèces les plus communes, trois sont dans un état critique flagrant : la Sérotine commune a perdu 30% de ses effectifs entre 2006 et 2019, la pipistrelle de Nathusius 46 % et enfin la Noctule commune, la plus mal en point, accuse une diminution de 88% ! (3) En cause : la disparition de lieux garde-manger comme les zones humides, les prairies, les haies ; la raréfaction des dortoirs comme les arbres creux ou encore l’utilisation des pesticides chimiques. La mauvaise réputation de l’animal ayant plutôt freiné sa sauvegarde, il est urgent de le reconsidérer et d’agir. En commençant chez soi.
Que peut faire le jardinier ? Plusieurs choses. Comme toujours, maintenir des zones naturelles autour des cultures afin d’assurer la présence d’insectes. Un peu moins de « propreté », davantage de laisser-faire ! Plus spécifiquement vous pouvez favoriser des plantes qui fleurissent la nuit, tels que le chèvrefeuille et l’onagre. Côté gîtes, assurez un accès facilité aux combles, grenier, cave. Préservez quelques fissures dans les murs, par ailleurs très recherchées par d’autres animaux (oiseaux, lézards, escargots). Si votre maison contient peu d’abris naturels, il est possible d’en acheter ou d’en fabriquer soi-même. Le gîte ressemble peu ou prou à un nichoir à oiseaux en bois, mais ouvert par le bas. Derniers détails pour une pension complète haut de gamme : ajoutez un point d’eau en guise d’abreuvoir et, plus important encore, pensez à éteindre la lumière ! Les chauves-souris sont des animaux nocturnes largement incommodés par les éclairages artificiels : ils les désorientent en période de chasse et perturbent l’hibernation.
« Observez » et suivez les chauves-souris avec Vigie-Chiro
Un peu à la manière des dauphins, les chauves-souris s’orientent en diffusant des ultra-sons. Ces derniers rebondissent sur les obstacles qui se présentent devant elles avant d’être captés par leurs grandes oreilles. Elles « voient » avec leurs oreilles en quelque sorte. Grâce à cette technique perfectionnée d’écholocation, elles peuvent voler en pleine nuit entre les arbres et les murs à une vitesse vertigineuse. Sans jamais percuter quoi que ce soit. C’est enfin grâce à ce sonar qu’elles repèrent les insectes pour les gober à la volée.
Difficile à approcher, à voir à l’œil nu, les chauves-souris peuvent en revanche s’observer facilement à travers ces ultra-sons. Un simple enregistreur posé la nuit dans le jardin permet aujourd’hui de savoir quelles espèces y sont présentes – chaque espèce ayant une signature acoustique particulière – ainsi que la quantité d’individus. C’est ce que nous propose de faire le Muséum National d’Histoire naturelle avec le programme Vigie-Chiro. Des protocoles rigoureux sont proposés, avec un calendrier de suivis à effectuer tous les ans. L’intérêt de Vigie-Chiro est double. De notre côté, c’est une manière de découvrir les espèces avec lesquelles nous cohabitons, et de suivre leur évolution d’une année sur l’autre – ce qui donne par ailleurs des indications sur notre qualité d’accueil. Les données envoyées aux chercheurs sont également utilisées pour calculer les tendances des populations années après années à l’échelle du pays. Les bénévoles qui épient les chauves-souris depuis plus de 15 ans, ont ainsi mis en lumière la situation inquiétante des espèces françaises, désormais toutes protégées.
Pour participez à Vigie-Chiro et en savoir plus sur le programme c’est par ici https://www.vigienature.fr/fr/chauves-souris
(1) Bats initiate vital agroecological interactions. Josiah J. Maine, Justin G. Boyles
(2) PUIG-MONTSERRAT X., TORRE I., LOPEZ-BAUCELLS A., GUERRIERI E., MONTI M.M., RAFOLS-GARCIA R., FERRER X., GISBERT O. & FLAQUER C., 2015. Pest control service provided by bats in Mediterranean rice paddies : linking agroecosystems structure to ecological functions. Mammalian Biology, 80, 237-245 55. WANGER T. C., DARRAS K., BUMRUNGSRI S., TSCHARNTKET T. & KLEIN A.-M., 2014. Bat pest control contributes to food security in Thailand. Biological Conservation, 171, 220-223
(3) https://www.vigienature.fr/fr/actualites/populations-chauves-souris-francaises-declin-3681